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Chapitre 2 : Quelle place pour le produit parfait ?

Abstract : l’innovation numérique dans l’industrie

Dans un premier article, nous avons partagé une vision concernant les motivations qui incitent à innover. Nous avons évoqué l’importance de définir un cadre composé d’éléments propres à l’entreprise, comme la direction souhaitée, sa raison d’être, ses valeurs ; et les éléments de contexte déterminés par l’environnement dans lequel elle se trouve : le contexte politique, la règlementation, l’accessibilité des technologies, l’environnement concurrentiel, etc. Nous avons également abordé la théorie du processus d’idéation en deux étapes : convergence et divergence. Et enfin, nous avons insisté sur l’importance de l’étude des usages tout au long du processus d’innovation. 

L’idée étant acquise, nous aborderons dans la suite de cet article le parcours de la construction du produit.

Ces articles n’ont pas la prétention d’être exhaustif mais sont un simple partage d’une vision issue de notre expérience. 

1. La boucle de feedback

Tout comme il apparaît normal dans un processus scientifique d’émettre des hypothèses et de les tester avant de les approuver, il en va de même pour la création d’un nouveau produit.

Les différentes étapes évoquées dans le premier article, conduisent à émettre des hypothèses au sujet de la cible, comme ses besoins, ses contraintes ou ses habitudes afin d’imaginer les fonctionnalités du futur produit, service ou process (pour simplifier la lecture, nous parlerons par la suite de produit).

Ces hypothèses sont la plupart du temps issues d’une vision, liée à l’expérience, la culture, et forgées par des convictions. Ces convictions, nécessaires pour puiser l’énergie suffisante au développement d’un projet, présentent toutefois un risque.

Si nous reprenons la définition de Larousse qui dit que « la conviction est l’état d’esprit de quelqu’un qui croit fermement à la vérité de ce qu’il pense », alors on peut supposer que la remise en question de cet individu est une chose difficile.

Et pourtant, il est fondamental d’aller rapidement tester sur le terrain.

C‘est à dire tester auprès de la cible mais aussi auprès des partenaires clés identifiés, auprès des réseaux de distribution envisagés, que nos certitudes sont partagées.

Plusieurs démarches ont été développées dans ce sens. Nous pourrions citer parmi les plus connues le Design Thinking ou encore l’UX/UI Design (expérience et interface utilisateur) ou, plus généralement, toutes démarches centrées utilisateurs.

Ces démarches consistent à aller à la rencontre des clients potentiels pour les observer, valider leurs besoins, leur environnement, leurs habitudes, leurs croyances.

2. Trop d’analyse, tue le produit

Comme pour de nombreuses choses, l’excès présente une menace. S’il faut étudier la cible et le marché, pour valider des hypothèses, il convient également de tester rapidement la proposition de valeur à travers des fonctions minimales. C’est ce qui est plus communément appelé le PMV (Produit Minimum Viable). Cette approche vise à valider les hypothèses business en testant à moindre coût et moindre effort la proposition de valeur auprès de la cible. Ce produit (service ou process) ne disposera pas de toutes les fonctionnalités imaginées mais uniquement de celles qui paraissent essentielles. Il peut même s’agir dans certains cas d’un produit fictif matérialisant les aspects qui veulent être testés (ex : une interface web dessinée sur PowerPoint, une page web simulant un site marchand, etc.).

Les premiers clients apporteront ainsi un enseignement riche quant à ce qui avait été identifié de fondamental par l’équipe projet. Suite à ces premières utilisations, on pourrait s’apercevoir que ce qui avait été perçu comme une contrainte forte, n’est finalement pas le cœur des préoccupations de la cible, qu’une fonction qui avait été imaginée essentielle n’est en réalité que optionnelle. Alors, l’équipe projet pourra apporter les ajustements nécessaires au regard de ce qui a été observé et développer pas à pas son produit en s‘assurant d’être toujours au plus près des attentes de ses clients.

Eric Ries, dans son célèbre ouvrage « Lean Startup », parle de la « boucle de feed-back ».

Il s’agit du processus par lequel on produit, on mesure et on apprend.

3. Les étapes de création

La création va matérialiser une idée qui, étape après étape, devra aboutir à un produit. Les compétences associées à ces étapes sont proches de l’ingénierie, du bureau d’étude. Néanmoins l’erreur serait de compartimenter le travail anté-construction (l’étude d’usage) et le développement R&D en deux silos. Quel que soit les outils utilisés, la vision de l’usage définit une philosophie de développement R&D et non une mission de pré-étude. Elle devra être le centre névralgique du raisonnement R&D, ce qui permettra de donner du sens à ce que l’on vulgarise par une “construction centrée utilisateur”.

“On se trouve dans la situation du maçon qui découvrirait une maison qu’il bâtit sans plan en suivant les indications d’un client dont l’avis change au fur et à mesure que les murs s’élèvent”, Paul Millier, Développer les marchés industriels, Editions Dunod.

3.1 Le test du concept / Le démonstrateur de l’idée

Cette première étape a pour but de valider l’idée initiale auprès d’utilisateurs avertis (dont l’on va accompagner le raisonnement). Elle se base sur l’utilisation d’une maquette en blanc en mode “Quick and dirty” c’est-à-dire dépourvue d’électronique et qui se focalise uniquement sur l’idée à valider en se libérant de toute contrainte technique.

Ce test permettra d’obtenir la base des interactions à respecter dans le but d’aboutir à l’acceptation de l’idée par le terrain.

3.2 Le démonstrateur technologique

Le test du concept peut engendrer/imposer des fondements durs intégrant des barrières technologiques à lever.

L’objectif de cette seconde étape est de démontrer la faisabilité technologique en isolant, si nécessaire, chaque élément technique à prouver.

Il est important d’estimer la criticité des incertitudes de ces barrières technologiques afin de ne pas engager le développement sur des axes chronophages. Si le cas s’impose, deux choix s’offrent :

●      Reprendre le fondement de l’idée/concept pour contourner la barrière sans impacter l’acceptation terrain.

●      Affecter la recherche nécessaire à la résolution de la barrière technologique dans un projet dédié et finançable selon différentes articulations. Cette solution affectera le planning.

Notons que cette étape n’est pas obligatoire si la technologie nécessaire au développement est acquise. Une innovation ne nécessite pas systématiquement une rupture technologique.

3.3 La preuve de concept

Communément appelée POC (proof of concept), la preuve de concept est la clef de voûte de la création du produit. Elle a pour objectif de prouver la bienséance du concept afin de minimiser les risques de l’investissement des étapes suivantes. À la différence des étapes précédentes, elle incarne l’idée dans une solution fonctionnelle. Le POC intègre donc la R&D (électronique et/ou logiciel) rendant la solution opérationnelle.

Le POC n’est cependant pas un produit.
Son test doit suivre un parcours utilisateurs précis dans des conditions maîtrisées car sa seule mission est de valider le concept dans son utilisation imaginée.

La notion d’un design esthétique ne rentre pas non plus dans la conception du POC à l’exception de l’ergonomie si cette dernière est définie comme un fondement dur. L’esthétique peut biaiser les tests terrains de la preuve de concept jusqu’à devenir un frein. La forme, ainsi que l’identité graphique, doivent donc être les plus neutres possible. Cela permettra d’orienter le jugement de l’innovation uniquement sur l’utilisation des fonctionnalités proposées.

En parallèle de la conception de la preuve de concept il est important d’être vigilant sur les parties légales (certifications / RGPD / ROHS) qui sont, dans certains cas, un frein aussi important que la technologie peut l’être.

3.4 Le prototype

Le développement du prototype doit être associé à une vision technico-économique du déploiement de la solution (son industrialisation). Les grandes lignes supposées en anté-création doivent être affinées afin d’établir les bons choix techniques (coût fixe, coût variable, l’échelle du déploiement, planning de déploiement, etc.). En fonction de ce raisonnement il n’est pas rare de devoir refactoriser la solution existante.

L’étape de prototype a pour objectif de professionnaliser la preuve de concept, la transformant ainsi en un produit fiable et robuste à son environnement.

L’investissement économique de cette étape peut être très important car il faut y associer d’autres dimensions : juridique (notice, certifications, etc.), esthétique, son conditionnement (présentation à l’utilisateur) etc.

Conclusion

Le processus de création d’un produit innovant comporte ainsi plusieurs étapes, chacune ayant pour vocation de tester les différents aspects du produit : concept, usage, technologie, réglementation.

Ces étapes ont toutes un rôle essentiel dans le processus décrit. Rappelons que ce processus n’est en rien linéaire mais doit s’inscrire dans une démarche itérative constante souvent à l’origine de l’établissement de versions de la solution. En cela, le produit parfait n’est qu’une chimère vers laquelle nous nous efforcerons de tendre version/itération après version/itération.

Le produit, à présent validé sous tous ces aspects, va devoir être industrialisé. C’est le sujet que nous aborderons dans le prochain et dernier article de cette série.

Auteurs

Camille MONTAGNE, Innovation Program Manager, Village By CA Centre-est

Arnaud ROQUEL, CEO, Everblix

Références

  • Développer les marchés industriels, Paul Millier, Editions
  • Dunod.Lean Start-up, Eric Ries, Editions PEARSON