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Chapitre 3 : Du prototype au produit, réussir son passage à l’échelle.

Abstract – L’innovation numérique dans l’industrie

Après avoir exposé dans deux premiers articles les bonnes pratiques pour développer un produit innovant, de l’idée jusqu’au prototype, nous nous attachons dans ce dernier volet à apporter notre regard pour passer efficacement du prototype à l’industrialisation.

Ces articles n’ont pas la prétention d’être exhaustifs, mais sont un simple partage d’une vision issue de notre expérience.

Introduction

Dans le deuxième article, nous avions présenté le prototype comme l’étape permettant de réaliser les bons choix techniques au regard :

–   des coûts fixes et variables,

–   de l’échelle de déploiement et du planning associé

–   de la réglementation sur le marché cible

–   de l’esthétisme

–   de son conditionnement

Mais alors à partir de quand arrête-t-on de parler de prototype pour parler de produit ?

Dans un contexte où tout va très vite et où il faut s’adapter en permanence (et donc réévaluer régulièrement les critères cités), la frontière entre les deux est mince.

Ce qui caractérise essentiellement le produit aujourd’hui, est le passage à la production industrielle.

1.      Du prototype au produit

Une fois l’idée validée, la preuve de marché obtenue, la faisabilité technique confirmée, les choix techniques imaginés, vient le temps d’industrialiser. Toujours dans une logique d’investissement progressif et itératif pour ménager les risques (temps de développement, coûts), la vision industrielle devra suivre deux étapes : la présérie et le passage à l’échelle.

1.1 La présérie

Il s’agit de la première fabrication industrielle en petite quantité d’un produit, avant le passage à l’échelle. 

À ce stade, une stratégie industrielle globale est de rigueur.

Elle devra définir dans un premier temps le nombre de produits à fabriquer. Ce nombre est en lien avec la technicité nécessaire à maîtriser par l’industriel et sa connaissance du projet. Un fabricant découvrant le projet devra faire plusieurs itérations de production pour ajuster son processus. Les quantités peuvent également varier en fonction de la complexité du produit, du nombre de premières précommandes en attentes ou plus largement du volume de ventes envisagées dans un délai court terme.

Attention au fait que la présérie ne sera “vendable” que lorsque les certifications seront obtenues. Ces certifications se feront sur un exemplaire de la présérie.

Découleront ensuite de ce premier critère, les choix suivants :

–     La typologie de l’outillage de la production (ex. type de moule pour le boitier) pouvant aller jusqu’aux matériaux,

–     La quantité de matière/composant optimale permettant de garder un coût de revient acceptable,

–     Les fournisseurs, en fonction de leur expertise, coût, délai, fiabilité, etc.

La dimension marché, qui est indispensable au début du processus d’innovation, conserve toute son importance dans la phase d’industrialisation.

Pour tous ces choix, on s’aperçoit alors que la dimension marché, qui est indispensable au début du processus d’innovation, conserve toute son importance dans la phase d’industrialisation. En effet, en fonction de la cible visée, le positionnement du produit varie. La qualité, qui se retranscrit dans le choix des matériaux, des moules, etc. doit être alignée à ce positionnement.

Ces choix sont également influencés par la réglementation du marché cible. Selon que le produit s’adresse à des enfants, qu’il soit destiné au milieu hospitalier, qu’il soit soumis à des conditions extrêmes ou encore selon la zone géographique envisagée, les caractéristiques à retenir telles que la robustesse, les matériaux, les techniques d’assemblage, etc. seront différentes.

L’étape présentée ci-dessus consiste au passage du prototype au produit. Elle permet ainsi d’optimiser le processus de production, valider des conformités/obtenir des certifications pour pouvoir passer sereinement à la production en grande série.

1.2 Le passage à l’échelle

Le passage à l’échelle (ou passage en grande série) signifie produire en grandes quantités. Cette notion est toute relative et dépend fortement du marché sur lequel l’entreprise évolue.

Notons que si la présérie a permis de produire de façon optimisée les premières quantités, elle ne fige pas pour autant les choix qui ont été faits. Comme on vient de le voir, la notion de processus optimal varie en fonction des orientations stratégiques réalisées. Ainsi, à chaque changement notable, une présérie sera produite pour valider les hypothèses et optimiser le processus de fabrication.

Prenons l’exemple des économies d’échelles. Elles peuvent concerner des coûts unitaires faibles qui n’avaient pas d’impact notable au démarrage, mais qui prennent rapidement de l’ampleur lors du passage à l’échelle. C’est le cas pour tous les critères évoqués dans le paragraphe sur la présérie.

Cette succession de préséries tire sa source du versionnage.  

 

2. Versionner son développement

L’apparition du logiciel au sein d’un produit, que ce soit pour son interaction et/ou son fonctionnement, a fait apparaître la possibilité de versionner ce dernier. Cette pratique, qui permet d’être en amélioration constante sur les évolutions du produit a surtout permis de diminuer les délais de mise sur le marché.

Avant cela, les pratiques usuelles voulaient que le niveau de maturité de la solution développée soit à son maximum

Avant cela, les pratiques usuelles voulaient que le niveau de maturité de la solution développée soit à son maximum (TRL9. voir L’échelle TRL [Technology readiness level]) avant de passer à la phase d’industrialisation. Depuis, cette approche a bien évolué.

Lancées dans une course à l’innovation, motivée par une concurrence accrue et des consommateurs en soif de nouveauté, les entreprises ont pour objectif de satisfaire au maximum les attentes des clients. Cela les pousse à devoir adapter régulièrement les produits et donc réduire leurs délais de mise sur le marché.

Imaginez qu’un produit soit développé des années durant avec tous les coûts et investissements que cela sous-entend, pour qu’au bout du compte, le marché “n’ait plus envie” de l’innovation… C’est ce qu’on appelle dans le jargon, “l’effet tunnel”.

Ainsi aujourd’hui, on observe une mise sur le marché bien plus anticipée, qui nécessite de prévoir les développements futurs qu’ils soient techniques (ex : intégrer des composants plus performants, une batterie plus importante…) ou ergonomiques (meilleure prise en main, interface utilisateur plus fluide…) ou encore esthétiques (modification du design, nouveaux coloris…).

Les premières versions du produit serviront alors à valider les hypothèses de volumes de ventes et à adapter les versions en fonction des retours clients, des observations du terrain.

« Une attention particulière sera apportée au rythme des mises à jour, permettant de garder en haleine les utilisateurs sans les déstabiliser. »

 

3. La propriété intellectuelle v/s la rapidité d’accès au marché

La propriété intellectuelle (PI) est souvent considérée comme essentielle au développement d’une innovation. Elle incarne la valeur de l’unicité du développement dont dépendrait la valeur économique du projet. Cette propriété intellectuelle peut être artistique et/ou industrielle et doit naître d’un accroissement intellectuel (on parle d’amélioration de l’état de l’art).

La vision “PI” peut être décomposée en deux objectifs distincts :

●      La valorisation de l’innovation comme avantage concurrentiel

●      La sécurité de l’innovation comme protection contre les concurrents

Le premier objectif est très souvent utilisé comme articulation de valorisation de la société en vue d’une augmentation de capital. Le second comme élément juridique permettant de maîtriser son avantage concurrentiel.

 Outre les dépenses de formalisation de la propriété intellectuelle (recherche d’antériorité/le brevet/les extensions/annuités/la veille concurrentielle/,etc.), le temps homme de recherche est non négligeable et peut dans certains cas, être en contradiction avec la rapidité d’accès au marché.

« La volonté de développer une propriété intellectuelle est donc une réflexion stratégique à aborder en début de projet. »

4. Certifier son aventure

Pour être vendable, tout produit doit suivre les règles du territoire sur lequel il sera déployé.

4.1 En Europe

Les certifications les plus classiques sont : la certification européenne (CE), la certification européenne électromagnétique (CEM), la certification environnementale (REACH & ROHS). S’ajoute à cela la règle légale de protection des données (RGPD) et des certifications de protections mécaniques nommées “indice de protection” (IP). Chacune d’entre elles trouve sa spécification en fonction de la solution en elle-même et de son environnement d’utilisation. Des organismes tels que le LNE (Laboratoire National de métrologie et d’Essais)[1] ou encore la Chambre de Commerce et d’Industrie[2], peuvent renseigner sur les axes obligatoires à respecter et les directives à considérer.

4.2 L’autocertification

Si le respect de la réglementation liée aux certifications est obligatoire, leur passage peut, dans certains cas, être simplement fortement conseillé. On parlera alors d’autocertification. Pour celle-ci, il faut néanmoins formaliser un document exhaustif au sujet du bon respect des règles imposées. Des experts métiers peuvent apporter leur aide et faire passer des essais. Ils ne permettent pas la certification, mais renseignent sur la bonne tenue du dossier. Ces essais sont aussi conseillés en préétude de la certification, afin de se rassurer sur son obtention qui peut devenir onéreuse en cas d’itération.

En effet, à chaque modification hardware et/ou mécanique de l’objet, les certifications sont de nouveau à considérer. C’est pour cela que cette étape arrive en stade de présérie, lorsque l’on passe du prototype au produit.

5. Maintenir son aventure

Aux premières ventes se termine une étape R&D et commencent deux nouvelles, à savoir : le suivi du bon fonctionnement de la solution et le développement de la prochaine version.

Le suivi du bon fonctionnement est souvent associé à la maintenance, où l’objectif principal est de gérer la montée en charge du service et d’effectuer l’ensemble des mises à jour nécessaires.

Concernant le produit physique, le terme de Service Après Vente est plus approprié. Même si toute l’attention a été apportée à la bonne adéquation utilisateur/produit, il y aura avec certitude des retours terrain à considérer, bons au mauvais.

Chacun de ces retours doit être traité par une cellule de feed-back permettant d’intégrer des améliorations dans la/les prochaine(s) version(s). Ce principe rentre dans le spectre d’amélioration continue de la qualité sous deux axes :

●      Les démarches proactives sous la forme d’enquêtes miroirs, d’appels téléphoniques, d’enquêtes de satisfaction.

●      Les démarches continuent sous la forme de retour des commerciaux, des techniciens, des réclamations clients.

 Cette démarche nécessite un formalisme dédié permettant la prise de note et l’analyse des résultats. 

 

Conclusion

Mettre sur le marché un produit industriel innovant nécessite une attention particulière et une écoute active de sa cible et de son environnement. L’aventure (et les efforts) est loin de s’arrêter à la validation du prototype et encore moins aux premières ventes. Afin de rester compétitif, tous les paramètres sont à prendre en compte pour faire évoluer le produit au rythme du marché.

Enfin, le raisonnement proposé dans cet article montre que le passage du prototype au produit est avant tout un travail de gestion et de stratégie de déploiement.

Auteurs

Camille MONTAGNE, Innovation Program Manager, Village By CA Centre-est

Arnaud ROQUEL, CEO, Everblix

Références

[1] Site du LNE https://www.lne.fr/fr

[2] Site de CCI Lyon Métropole / Réglementation européenne : https://www.lyon-metropole.cci.fr